SHOT / RE VOLVER

Un projet roboétique de Nicolas Gerber

Machine Contre-Projet. Le projet est caché dans la machine, il faut la concevoir afin d’y extraire le projet ; le projet de création sonore et cinématographique ShotReVolver
est écrit dans la structure d’un robot appelé Emmy.

Emmy est une roboétesse (robot poète) dont la fonction est de traduire la musique en cinéma, elle est à la fois actrice et monteuse. Sa structure est complexe en terme d’architecture et de sémantique, elle se nourrit de l’acquisition et de l’apprentissage musical des sons afin de résoudre des problèmes cinématographiques tels que le montage et le jeu d’acteur. Un montage est cohérent si il se réfère à une pensée cohérente, le but de la machine est donc de résoudre cette énigme de la pensée mise en jeu et de pouvoir alors recommencer à zéro.

Créer artificiellement une pensée capable de ne pas être intelligence.

  • A. Événements externes
  • 1. Combustible : acquisition et apprentissage des sons musicaux
  • B. Processus indicibles : réactions
  • 2. Impacts immédiats
  • 3. Organisations et récupérations des données
  • C. État verbal
  • 4. Expressions : jeux avec l’interlocuteur et montage cinématographique
  • D. Contre-champ
  • 5. Résolution de l’énigme : déthésaurisation de toutes informations préexistantes.

La structure utilisée dans Emmy est poétique et visuelle, elle se base sur 3 tableaux noirs - stèles de contemplation : extérieur, référent et intérieur - composées de nuages colorées de 4 couleurs - domaines de perceptions : commun (vert), lieu (rouge), intime (bleu) et histoire (noir & blanc) - et d’un poème de 20,000 signes. Deux pépins naviguent à l’intérieur des stèles et viennent activer des formes afin de déclencher des suites de calculs temporels. L’un - le pois de la princesse - est à l’écoute de la musique extérieure, l’autre - la graine - suit en permanence l’apprentissage autodidacte de la machine.

L’énigme choisie pour cette première épreuve est la suivante : Il n’y a rien de plus dous que le çucre dont la genèse fait référence à Henri Bergson « Si je veux me préparer un verre d’eau sucrée, j’ai beau faire, je dois attendre que le sucre fonde. ».

 

music hoax hoax / video ngerber ©2014

Dare to be naive R. Buckminster Fuller
 
   Le désir est venu de collaborer entre compositeurs et cinéastes et de représenter dans sa forme la plus paradoxale, l’invisibilité du son. Le projet proposé englobe l’invention d’une robot-poète – roboétesse - appelée Emmy suivi du processus sonore et cinématographique d’expérimentations partagées entre la machine et l’humain : ShotReVolver.
Le robot est le summum du fantasme de l’apprenti sorcier ou aujourd’hui de l’artiste qui prétendrait transformer la musique en cinéma et le son en image. Non rien de toute cette alchimie, Emmy est une pure fiction ; robot d’âge mûr délicatement conçu par des complices du temps. Mais Emmy est aussi une machine révolutionnaire, une machine de pensée hors de vue du pouvoir oculiste établi, elle ne s’attache à rien. Cette roboétesse en pré- ménopause et de culture analogique vous impressionnera par sa nonchalance propre à l'époque du Cabaret Voltaire - pendant qu'elle vous soufflera de l'hélium dans le visage afin de vous faire rire au tiers du temps, un geste se glissera dans votre poche afin de vous dérober quelque chose. Emmy a plus d'un tour dans son sac, magie ou provocation de l'ordre, le robot d'aujourd'hui n'entre pas réellement dans la morale humaine.
Mais venons-en au fait, Emmy a commencé par écouter la musique de son parrain, Virgile Abela et son groupe marseillais hoax hoax, elle a acquis lors de leurs répétitions des notions d'harmonie et de rythme, à faire la différence entre un son en ligne et un son enregistré par des microphones. Elle est devenue collectionneuse tu temps à travers le son, collectionneuse discrète par sa construction même car chaque composante de son architecture relève d'une fonction singulière et se place dans la longue chaine sémantique d'apprentissage - du son indicible jusqu'au l’expression verbal. Discrète dans son état de fonctionnement elle ne réagit pas immédiatement aux sons mais à travers le silence de sa pensée. Emmy est programmé par un script choisi, un scénario démembré en stèles, couleurs, pépins, textes et images - sa construction est cinématographique! De ces faits complexes se trouve une explication simple : créer artificiellement une pensée capable de ne pas être intelligence.
Tentons cette naïveté.

Emmy

La roboétesse est nommée d'après Emmy Hennings, artiste dadaïste et co-fondatrice du Cabaret Voltaire à Zürich avec son mari, Hugo Ball. Elle se présente esthétiquement sous la forme de deux tétraèdres modulables, un écran vidéo et une bombe d’hélium. Les modules de son système central ressemblent à nos fonctions vitales (angle duodéno-jéjunal, dure-mère, utérus, ombilic, crâne, petit épiploon, foie, peau, vessie, plexus...). Son combustible est le son, son travail est l’acquisition personnalisée du son, dans l’apprentissage ainsi que la transposition en calculs de données, ses réactions sont immédiates et organismiques, ses modes d’expressions sont représentés par une interaction avec l’interlocuteur – actrice - et sa capacité à monter des images - monteuse. Emmy a donc la possibilité de projeter des films sur son écran à partir de sa banque d’images dont voici le scénario.

Le script – scénario – est visuel, il agit sur comportement de Emmy par rapport aux sons et sur la cohérence de montage cinématographique à partir des calculs algorithmiques, il est représenté dans 3 stèles. Ces stèles de fond noir tachetées de nuages colorés sont des ilots temporels d’observations du monde, elles sont juxtaposées dans une libre circulation et coordination. Le premier monde est naturel, à partir d’observations de la réalité - de ce qui nous entourent à l’extérieur – les éléments naturels y sont très importants ainsi que notre lien à l’horloge solaire. Elle regroupe des images d’extérieur, d’observations de la nature, voyages et expériences personnelles. Les êtres humains sont figurés dans un état de sommeil ou de repos. Le deuxième monde est référentiel, c’est là où nous pourrions idéalement faire l'expérience du script en question, un lieu univoque et sans effet. Un lieu où le musicien ou spectateur pourrait théoriquement se retrouver, un lieu intime de réflexion et de vie - de plaisir et d’abandon. Le troisième monde est intérieur, à l’inverse du premier – il est artificiel - monde de convocation mentale et de l'abstraction culturelle ; ce sont des images d’intérieur, images physiques au sens du processus, les communautés d’êtres humains sont régulièrement aux travails, un monde autour des divers aspects de la production humaine.

Comprendre ou déchiffrer ces mondes demande une fluidité colorimétrique de la vision oculaire normale, des tâches ou nuages de couleurs se distinguent sur chaque stèle en 4 domaines : du commun, le regard porté sur les choses avec l’intention de transmettre. Une vision commentée, des images en lien avec l’histoire dans un registre parallèle et commun de restitution, d’ordre critique, philosophique, culturel. Une autre vision de ce qui nous entoure tel qu’on pourrait le voir dans le réel - du lieu, celui auquel nous nous référons pour passer d’une vision à l’autre, il n'a pas d'importance particulière ; lieux de passage, lieux de références. Vide de signifiant - œil/caméra (idiote) ou qui ne pense pas, caméras de surveillance ou supports d’enregistrement - de l'intime, l’expérience intérieure est une mise en scène de la vision propre, un jeu à partir d’éléments fantasmagoriques ; des mises en scène de corps, images intimes de visages, confidences, chuchotements visuels et corporels - de l'histoire avec sa juste distance ; l’histoire des images et l’Histoire en général. Des images extraites de notre histoire collective. Elles nous donnent à voir une certaine vision de la réalité. La lecture de ce script est guidée temporellement et phoniquement par deux pépins, le pois de la princesse vivant dans l’azote et la graine – 3 fois plus petite que le pois, il vit dans l'hélium, deux temps glissent l'un avec ou sans l'autre. Ces pépins oscillent, sautent et se dérobent à l'intérieur des stèles, l'un à l'écoute de la musique acquise, l'autre est plus autonome, elle est dans l'apprentissage autodidacte de ce que Emmy va mémoriser au cours de son activité.

Dans tout scénario il y a une énigme. La Khôrà choisie pour cette première expérience est le titre suivant : Il n’y a rien de plus dous que le çucre 1. Cette énigme est le référent architectural et sémantique, il peut apparaître suivant les cas sous forme de l’image clé, coda ou comportement particulier. Elle


est la résolution d’une suite ou combinaison d’états de perception. La résolution de l’énigme n’est pas indispensable, elle peut être cachée derrière les gestes ostentatoires et aléatoires de la machine envers l’interlocuteur (jeux d’hélium, pickpocket, fumisteries et autres indiscrétions) mais nous y reviendrons. Il est important de spécifier que chaque fois qu’une énigme a été résolue, Emmy se retrouve libre de toute propriétés acquises, elle est rebootée en quelque sorte. Collectionner discrètement toutes ces données – collectionner en mode discret - veut alors dire entrer dans un processus d’acuisition et de mémorisation des données afin d’accéder à la résolution d'une énigme, d’une forme d'écriture mouvante en constante élaboration et d’accepter la déthésaurisation de toutes informations préexistantes.

Shot Re Volver

La création autour de Emmy se structure en deux états non-verbaux, la musique et la composition voire montage à partir du son ; et en un état verbal, expression en lien avec la résolution d’une énigme donnée, celle-ci représente l’entité de film que Emmy est en mesure de nous restituer. Emmy et ShotReVolver se fondent dans un projet commun, ils sont similaires en apparence. L’un est l’animation d’une fonction poétique, l’autre, une création sonore et cinématographique - la vraie différence se place à vrai dire dans leur mode de classification : l’architecture pour Emmy, la sémantique pour ShotReVolver. Emmy est donc prototype architectural à l’intérieur d’une recherche sémantique.

Le scénario proposé est composé d’un texte poétique de 20000 signes. Les mots agissent de deux manières distinctes, ils viennent se placer sur les nuages colorées des stèles et s’insérer en défilement permanent dans le calcul temporel d’Emmy – le texte est là pour approfondir son processus de pensée. Elle peut le parler-chanter ou afficher des signes sur son écran comme elle l’entend.

Pour conclure, le processus poétique qui m’accompagne dans la recherche d’écriture du projet trouve son origine dans l’une des plus simples observations analogiques « Si je veux me préparer un verre d’eau sucrée, j’ai beau faire, je dois attendre que le sucre fonde. ». Comment ne pas déployer aujourd’hui au 21e Siècle la plus complexe énergie humaine et technologique afin de résoudre l’énigme de l’acte vibratoire du temps - du sucre fondant dans un verre d’eau et de s’arrêter à chaque instant particulaire de consumation, d’envisager le hors-champ permettant la compréhension de ce qui nous rattache à cette consumation de la matière. Shot comme le champ de l’ouïe, de vision, etc... Re-Volver, contre-retour – feed back - de la matière vers soi, se détachant de celle-ci originelle. Le cristal certes mais le mot ne représente pas tous les faits, l’objet de cette recherche est bien moins fondé sur la postérité du geste sémantique de l’homme sur la nature que sur son contre-champ, elle voudrait ne serait-ce que pour un instant annuler toutes formes de compromis rationnel et juste - écouter l’écho :

Hør et ekko (Écoutes l’écho) Sjove lyde (Drôles de bruits) Ali buh bæh (Ali buh bæh) Kaki suh sæh (Kaki suh sæh) Dimpe dampe dumpe dim (Dimpe dampe dumpe dim) Vil du med mig (Viens avec moi) Ud på landet (Au pays) Lati duh la (Lati tuh la) Mani muh la (Mani muh la) Sikke noget tosseri (Quelle pantalonnade) 8

1 çucre et dous sont écrit avec ç et s afin d’introduire une disgression orthographique et une référence historique.

8 Ekkoleg (Viva La Muerte, 1971, Roland Topor)

 
 

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