(prononcé par syllabe) 5h30 + installation d'une une table magnétique consultable
L'intérêt dans ce type de construction est la combinaison de plusieurs états-étapes de travail sur le son. J'arrive dans le lieu un peu avant l'ouverture prévue à 14h, lorsque le public entre j'attends un peu avant de me mettre au travail. Il consiste à construire une table magnétique à partir du son enregistré simultanément dans le lieu, un nagra tourne à une vitesse de 9,5cm/seconde, la bande tombe à terre pour former un amalgame de matière sonore inclassifiable (en sachant que le côté enregistrée de la bande est reconnaissable par sa couleur marron claire) je commence ma table en prenant dans le tas enregistré des fragments de bandes magnétiques 1/4 de pouce - la largeur de la table correspondant approximativement à 6 secondes (6 X 9,5cm = 57cm) - je les colles avec du scotch en papier blanc de masquage de fenêtre sur une plaque de stirodur BASF de 5cm d'épaisseur (matériaux isolant de la célèbre fabrique de bande magnétique), chaque bande étant collée précisement afin de permettre une certaine tension (il s'avère que le résultat n'est pas digne d'une horlogerie suisse mais c'est la notion de temps passé au travail qui nous intéresse dans ce cas précis, entre 14h et 21h dimanche 29 novembre), elles sont légèrement surélevées à l'aide de règle de bureau situées de chaque côté (4 au total) - équivalent aux cordes de contrebasse ou guitare sur un chevalet, la table se compose donc au fur et à mesure, je prends des poses, en l'occurence 2, pour fumer une cigarette, discuter un peu et boire du café,
Cet après-mid dans le lieu les artistes et le public produisent toutes sorte de sons très intéressants. Pendant ce travail les gens viennent me poser des questions, le contact se fait très naturellement, la performance se déroule comme prévue…
La notion de représentation de l'archive : trahir le passé, le présent - synchroniser le temporel avec l'intemporel, la main - on y reviendra - j'inclus dans l'enregistrement présent du lieu une bande préparée à l'avance, ceçi étant de créer une certaine confusion entre ce qui a été enregistrée dans cet instant et ce qui pourrait venir d'ailleurs, d'un autre temps, tout ça n'a pas finalement pas beaucoup d'importance puisque c'est notre perception qui est en jeu et non la véracité d'un document - placement et déplacement - la table se compose donc avec la présente et l'appassée, deux extrêmités entremélés dans un cadre, table, plateau de travail magnétique et sonore.
Ce travail prend un certain temps, laborieux - fatigue et état de présence intense parmi les sons produits, je récupère des bouts de bandes directement sur la machine lorsque des sons m'interpellent - voix, bruits de chaise, toux… Une fois le collage terminé, nous constatons un cadre fixe composé de bande et un résidu inarchivé dégueulant vers la terre et se propageant tout autour de la table, ce tas correspond à ce que je n'ai pas usé, ce qui a été mis de côté, ce qui ne veut pas dire qu'il n'existe pas mais il représenterait l'horchive (un hors cadre de l'archive).
J'installe le dispositif sonore permettant l'amplification de TA PE TA BLE : un ampli stéréo, une table de mixage, 2 filtres HP, 3 haut parleurs, un capteur, une tête de lecture magnétiques soudée sur une tresse de 3 fils oranges, une réverb à 3 ressorts - tête fonctionnel permettant l'accès à la matière enregistrée sur bande, le capteur placé sur la table permet la reconstitution présente d'une approche acoustique de l'instrument, elle donne lieu au mouvement, geste effectué sur la table par la main gauche et droite - on y reviendra.
A 21h TA PE TA BLE est fonctionnel
En observant le public s'attabler pour expérimenter la matière sonore, je me rends compte du jeu entre la main gauche et la main droite (Henri Michaux : intemporel et temporel, le jeu des mains dans Poteau d'Angle) la main gauche immobile agit sur la bande pour créer une tension afin de permettre à la main droite de se déplacer avec la tête de lecture de gauche à droite sur la bande - le jeu des mains, la synchronisation entre temps et intemps. Un autre jeu tout aussi intéressant et plus profond : le geste très serré - intime - l'oreille cherche à reconnaître un son qui a du sens, la main suit, un bruit que l'on peut reconnaître mais la bande est illisible dans le sens qu'il faudrait déplacer la tête à une vitesse constante de 9,5cm/s pendant un certain temps pour avoir du sens. Il s'avère que la plupart des gens sont d'avantage attiré par la matière que par le sens mais lorsqu'un sens apparaît un état d'extase se dessine sur leur visage comme si par magie le sens était née d'un mouvement intuitif purement sonore et physique… Cet état disparaît très vite laissant place à un sentiment de frustration car la table propose un mouvement vers le son et non une reconnaissance du son (à creuser). Les gens se replongent très vite dans l'expérience pure du son sans trop chercher à comprendre le sens inscrit. L'archive est donc prédisposé à celui qui cherche le sens mais celui-çi doit trouver son propre geste - de la main, pour le trouver. La présence de la matière inarchivée en donne une autre forme, elle est là sans être consultée sauf exception de 2/3 personnes s'accaparant de la matière inarchivée pour la lire.
Autre chose, le capteur donne un effet concret, du réel, la table peut-être consultée de manière électro-acoustique, elle fabrique du son par le touché présent, elle donne à entendre le présent de la table et du geste de celui qui la consulte.
Enfin voilà une expérience enrichissante qui donne lieu à être poursuivie… En d'autre terme tout est histoire de synchronicité et l'aspect de l'œuvre bricolée - de l'ouvrier manuel s'adonnant à une tâche dans un espace et temps défini donne à cette pièce une consistance de l'ordre du sensible (chaque scotch en papier collé correspond à un geste de travail utile à la réalisation d'une pièce)
nicolas gerber / 1er décembre 2009
